Chères lectrices, chers lecteurs,
Pour ce nouveau carnet de bord je désirais vous parler d’un homme. Un homme du XIXème siècle dont la légende a tant imprégné la région colombienne du Santander que la coopération internationale menée entre Crolles et Zapatoca a rapidement pris part à sa magie. L’histoire que je vais vous conter oscille entre le mythe et la réalité. Je suis navré de ne pas pouvoir vous offrir un récit historique fiable, mais au pays de l’écrivain Gabriel García Marquez, la magie rattrape la réalité et nous restons bien souvent bouche-bée en découvrant que les faits sont bien plus extraordinaires que tous les contes qu’on avait pu nous en faire.
Cette histoire commence non pas en Colombie, mais en Prusse. En 1852 un jeune ingénieur nommé Geo von Lengerke, officier de l’armée et coureur de jupons renommé, est accusé du meurtre d’un mari jaloux. Le Roi de Prusse lui-même aurait aidé le jeune Lengerke à fuir sa sentence en le faisant embarquer pour les Amériques. Notre protagoniste arrive donc dans un port colombien de la côte caribéenne – la Colombie venait de signer un accord de libre-échange avec la Prusse – et part à dos de mule s’installer près de Zapatoca, un petit village isolé dans les montagnes sauvages entre la capitale et la côte. Venu les poches vides mais des idées plein la tête, il ouvre d’abord un petit magasin de produits européens et participe à la construction de ponts et de routes dans la vallée voisine du Magdalena, la principale voie commerciale du pays.
Bientôt Geo von Lengerke devient le propriétaire de milliers d’hectares de terres et un des principaux commerçants du pays. Sa réussite tient principalement à la production de quinine, une substance produite par un arbuste endémique de la région et dont ont grand besoin les médecins européens. L’activité commerciale fait de lui l’homme le plus influent du Santander, il règne tel un Prince sur la campagne. Pour asseoir son empire, Geo von Lengerke construit de nombreuses infrastructures et notamment des routes. Avec une vision civilisatrice néocoloniale, le prussien n’hésite pas à affronter les indiens pour que le Santander connaisse le progrès du doux commerce. Pour que ses marchandises parviennent à dos de mule aux villages les plus reculés de cette région de la Cordillère des Andes, l’ingénieur décide d’élargir et de paver les sentiers tracés des siècles auparavant par les colons espagnols ou par les indiens eux-mêmes, avant que ces derniers n’arrivent. Aujourd’hui connus sous le nom des chemins de Lengerke, ils sont utilisés par des habitants du Santander pour se déplacer à pied. Parfois oubliés au profit des nouvelles routes pour automobiles, nous redécouvrons encore aujourd’hui cachés sous les herbes des chemins pavés reliant les villages entre eux.
La coopération Crolles-Zapatoca a notamment décidé de travailler sur la préservation et la valorisation du patrimoine. Les chemins de Lengerke sont devenus une attraction touristique majeure pour tous les randonneurs colombiens et étrangers. Ils traversent autant de forêts luxuriantes que les canyons arides du Santander avec certains passages si vertigineux qu’il nous est difficile d’admettre que des hommes aient pu construire ces routes avec les simples techniques de l’époque. Ces chemins sont un paradis pour tous les sportifs amateurs de nature. Avec l’appui des experts de l’ONG grenobloise Tetraktys, la coopération internationale a permis de baliser les environs de Zapatoca et de former différents acteurs de la ville pour faire du tourisme un levier de développement économique durable. Les élèves des écoles ont aussi été formés sur l’intérêt de préserver et valoriser leur patrimoine, nombreux d’entre eux utilisaient chaque jour ces chemins pour se rendre à l’école sans connaitre l’histoire des pierres sur lesquelles ils marchaient.
Lengerke a marqué Zapatoca et le Santander comme aucun autre personnage historique. Son nom est présent partout et on raconte qu’il eut plus de 500 enfants illégitimes dans les fermes longeant les chemins qu’il a construit. En arrivant, on m’affirma que tous les colombiens aux yeux bleus du Santander sont ses descendants. Voilà encore une légende populaire me suis-je dit ! Puis le doute m’a pris. Au pays du réalisme-magique, il n’est pas improbable que ce mythe soit bien plus vrai que ce que mon rationalisme cartésien puisse accepter. Dans un pays où l’on ne croit pas ce que l’on voit, ne faudrait-il pas commencer par croire pour voir ? Il se peut que je sois en train de me colombianiser…
A bientôt !
Robin